Introduction
Au Nom de Dieu, le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux
Louange à Dieu, qui nous a épargné ces épreuves auxquelles Il a soumis bon nombre de Ses créatures ! Que la grâce et la paix soient sur le Prophète et sa famille Cette lettre émane d'un esclave de son Seigneur ayant beaucoup de méfaits à se reprocher: Ahmad Ibn Mustafa al-Alawi - que Dieu lui accorde Sa grâce et lui inspire, ainsi qu'aux croyants, de suivre la voie la plus droite !
Le destinataire en est le juriste réputé, le Cheikh Sidi Uthman Ibn al-Makki, professeur à la grande mosquée de Tunis - que Dieu le fasse prospérer et le purifie de tout démon révolté !
Que la paix de Dieu soit sur vous, aussi longtemps que vous montrerez de la déférence à l'égard des membres des confréries : "Celui qui vénère ce que Dieu a déclaré sacré en tirera bénéfice auprès de son Seigneur", Sourate 22 : Le pèlerinage (Al-Hajj) verset 30.
J'ai découvert l'épître issue de votre plume intitulée " Le Miroir manifestant les égarements " La prenant en considération, je l'ai feuilletée avec attention, en rendant grâce à Dieu qu'il reste encore de nos jours des personnes fermes en matière de religion, des gens qui ne craignent le blâme d'aucun censeur dès lors qu'il s'agit de Dieu.
Certes, son titre me gênait quelque peu en raison du terme " égarements ", mais ce que j'ignorais à ce stade, c'est que le texte ainsi intitulé était encore plus gênant.
Le peu que j'en lus suffit à me désappointer : mon intérêt s'émoussa aussitôt, et je ressentis une peine à la mesure de ma réjouissance initiale J'en fus à tel point affligé que je faillis m'écrier : " Il est absolument illicite de poser son regard sur un quelconque miroir, que ce soit pour y contempler des égarements ou quelque autre forme ! " et cela en raison des attaques et atteintes à l'honneur que contient votre " Miroir " Peu s'en faut qu'elle ne déborde de colère : en direction des gens du Souvenir ( Dhakiroun ), elle lance des étincelles de la taille d'une forteresse, et son discours fiévreux détruit les croyants Je cherchai bien à distinguer l'écrivain de son œuvre ; mais à chaque fois, l'idée me reprenait qu'un discours est toujours le reflet de son auteur et que la caque sent toujours le hareng.
Les mensonges que contient votre " Miroir " et le caractère immoral de son contenu constituent une atteinte à l'honneur des gens du rattachement à Dieu : vous les avez proprement calomniés Aussi, la Jalousie divine et la ferveur [que je porte] à l'Islam m'ont poussé à vous écrire, par vénération pour ces membres des confréries que vous avez caricaturés Venant au secours des gens du Souvenir que vous avez trahis, je ne fais que mettre en pratique la parole suivante du Prophète - sur lui la prière et la paix - : " Celui qui assiste à l'humiliation d'un croyant sans venir à son secours alors qu'il en a les moyens, Dieu l'humiliera devant témoins au jour de la Résurrection ".
Dans le sahih, il est rapporté d'après Abû Umâma que le Prophète - sur lui la prière et la paix - a également dit : " Quiconque aura défendu l'honneur de son frère verra son visage écarté du Feu au jour de la Résurrection " et, d'après Abû Dardâ : " Quiconque aura défendu l'honneur de son frère sera protégé du Feu par un voile, au jour de la Résurrection ".
Ces propos ont une portée générale : l'honneur de tout croyant, quel qu'il soit, doit être défendu ; quant à l'honneur des gens du Souvenir (Dhakirouna), c'est Dieu Lui-même qui S'en charge particulièrement Le plus véridique dans Ses Paroles n'a-t-Il pas dit: "C'est Lui qui protège les Justes ? Quiconque leur cherche querelle s'attaque en réalité à Dieu ; et quiconque leur porte secours vient en aide à Dieu".
Les gens de la Grâce n'ont cessé et ne cesseront d'assurer la sauvegarde de la Voie de Dieu (la Relation avec Dieu) en tout temps ; en effet, le Peuple (al-Qawm, terme qui signifie "peuple, tribut, gens, groupe" et qui désigne en général la communauté soufie) - que l'agrément divin soit sur lui - suscitera toujours des partisans et des opposants Telle est la coutume de Dieu à l'égard de ceux qui vécurent autrefois "Et tu ne trouveras point de changement dans Sa coutume", Sourate 33 : Les coalisés (Al-Ahzab) verset 62.
Il y aura donc toujours des gens bienveillants pour faire son éloge et des envieux pour le critiquer Cela dit, ces attaques et ces critiques peuvent aussi bien viser des personnes vraiment religieuses que d'autres plus faibles sur ce plan ; le censeur, lorsqu'il crie à la déviation, peut fort bien se baser sûr des apparences qui s'avèrent tout à fait trompeuses.
Quant à toi, en critiquant sans distinction aucune les membres des confréries, et en réfutant publiquement leurs convictions - c'est ce que tu fais, ô Cheikh, lorsque tu argues qu'il n'y a là qu'erreur, ignorance et égarement ! -, tu manifestes une attitude sans précédent chez les savants religieux (exceptés ceux de différentes sectes déviées qui contestent le principe même d'une élection divine, simplement parce qu'ils n'en sont pas les bénéficiaires).
Les gens de la Tradition (Ahl-a-Sunna), pour leur part, n'ont jamais émis de critiques, si ce n'est à propos de personnes dont la sainteté ne faisait pas l'unanimité Leur point de vue sur le soufisme a toujours consisté à le respecter et à en magnifier le degré ; leurs paroles à ce sujet sont les témoins les plus équitables dont on puisse enregistrer la déposition.
De façon générale, les gens de la Tradition éprouvent naturellement de l'amour pour le soufisme et ses adeptes On constate d'ailleurs que celui qui s'aventure à dénigrer leur doctrine (Madhab - école de pensée) baisse rapidement dans l'estime du savant comme dans celle du croyant de base : en réalité, cela montre qu'il a baissé dans l'estime de Dieu - qu'Il nous préserve d'une telle déchéance C'est pourquoi on a dit :
- Quiconque s'oppose aux gens du Souvenir (Dhakirouna)
- En s'acharnant contre eux injustement
- Par la haine des créatures, Dieu l'éprouvera rapidement
Je viens donc te donner un conseil sincère, en espérant que cela mettra un frein à tes attaques - s'il plaît à Dieu, "Et Dieu vous met en garde contre Lui-même", Sourate 3 : La famille d'Imran (Al-Imran) verset 28.
Dieu a dit dans une tradition sanctissime (hadith Qoudoussi) : " Quiconque nuit à l'un de Mes saints, Je lui déclare la guerre ", Rapporté par Al Boukhari.
Or, qui s'expose à la guerre divine n'est pas en sécurité, assurément ! Le Prophète a dit - sur lui la prière et la paix - : " Les gens de ma famille (Ahl-Albayt) et les saints de ma communauté sont deux bosquets empoisonnés : qui s'y frotte s'y pique ! ".
Quant aux paroles des savants à ce sujet, elles sont innombrables Abû l-Mawâhib al-Tunusi raconte notamment que son Maître Abû Uthman - que Dieu soit satisfait des deux - disait publiquement dans ses cours : " Que la malédiction divine frappe celui qui réprouve cette communauté [des soufis] ! Et quiconque croit en Dieu et au jour dernier se doit de faire la même imprécation ".
Laqqânî - que Dieu soit satisfait de lui - disait quant à lui : " Quiconque polémique au sujet des soufis risque de mal finir ; un traitement sévère et un emprisonnement prolongé seront son lot ".
" Dieu vous exhorte à ne plus jamais recommencer, si vous êtes croyants ! " Sourate 24 : La lumière (An-Nûr) verset 17, (passage du Qoran où il est question justement de calomnies).
Tu constateras ainsi qu'un imam scrupuleux éprouve toujours beaucoup de réticence à parler en mal du commun des croyants, pour ne rien dire des membres des confréries !
Mais enfin, si leur islam est la seule chose qui te paraisse acceptable en eux, leur reconnaître la qualité de musulman t'oblige alors à les respecter et à t'abstenir de porter atteinte à leur honneur, en évitant par conséquent de te mêler de leurs affaires privées, conformément aux mises en garde du Législateur.
Le fils d’Omar - que Dieu soit satisfait de son père et de lui - rapporte ainsi la parole suivante du Prophète - sur lui la grâce et la paix - : " Quiconque divulgue les secrets ( `awra) d'un musulman et le déshonore de ce fait injustement, Dieu l'avilira dans le feu au jour de la Résurrection ".
Tel est le châtiment réservé à celui qui divulgue les secrets d'un seul musulman : que peut donc bien espérer celui qui se mêle des affaires privées de la masse comme de l'élite des musulmans pour les déshonorer au sein de la communauté, voire même auprès des non-musulmans si la chose parvenait à leurs oreilles ?
Or, c'est bien ce que tu as fait, ô Cheikh ! Tu t'es répandu en réprobations, passant au peigne fin des choses sans intérêt ; tu t'es cru le seul et unique représentant de l'orthodoxie sunnite, le reste de l'univers étant peuplé d'ignorants, d'innovateurs ou de transgresseurs égarés Oui, c'est bien ainsi que tu juges les fils de ta religion !
Quant à nous, nous ignorons le jugement de Dieu à ton égard ; mais [nous sommes certains que] si tu t'occupais de tes propres affaires, tu aurais suffisamment de quoi faire, et cela te dispenserait de t'intéresser à celles des autres Tu es l'exemple même de ces personnes à propos desquelles le Prophète - sur lui la prière et la paix - a dit : " On distingue le brin de paille dans l'œil de son frère alors qu'on oublie la poutre qui obstrue le sien ".
Et de fait, tu en oublies pour ta part de fort nombreux, comme tu vas bientôt t'en rendre compte En te faisant prendre conscience de ces " poutres ", je t'amènerai peut-être à t'en débarrasser, à supposer que tu en sois capable Pour ce faire, tu n'as pas d'autre solution que de reconnaître purement et simplement [tes erreurs], et cela dépend de ta capacité à être objectif : si tu as cette qualité, cette épître travaillera en ta faveur ; dans le cas contraire, elle constituera une preuve à ta charge De toute façon, lorsque tu la liras, montre une vue perçante, une raison saine, et place ton cœur à l'abri du sectarisme.
Si j'écris ces lignes, c'est avec l'espoir que par elles, Dieu te délivre de ce mal qui te frappe ; ou qu'Il délivre tes semblables, ou toute personne qui trouve plaisir à lire ton triste " Miroir " ou se réjouit d'assister à tes affligeants discours Je m'en vais donc te signaler ces " poutres " dont tu aurais pu oublier qu'elles obstruaient ta vue, si Dieu ne les avait pas assez mises en évidence au moyen de ton " Miroir " !
En premier lieu, tu introduis ton ramassis d'atteintes à l'honneur des musulmans par la citation suivante : " Louange à Dieu qui nous a guidés vers cela ; nous n'aurions pu suivre la bonne direction s'il ne nous avait guidés ", Sourate 7 : Al-A’araf verset 43.
Je ne sais quelle était ici ton intention : voulais-tu simplement bénéficier de la bénédiction attachée à ce noble verset, ou bien s'agissait-il d'insinuer que ces atteintes à l'honneur des gens du Souvenir et de leurs semblables, auxquelles Dieu t'a conduit, relèvent de la guidance divine ? Dans le premier cas, c'est très bien ! Mais sinon, sache que la guidance ne peut prendre la forme d'une critique calomnieuse des gens de Dieu, sauf lorsque " guidance " prend le sens qu'il a dans cette Parole de Dieu - exalté soit-II - : "Guidez-les alors sur le chemin de l'Enfer ", Sourate 37 : Les rangés (As-Saffât) verset 23, ou dans d'autres passages semblables.
Tu as bien raison d'appeler ton ouvrage " Le Miroir manifestant les égarements " : ce titre correspond admirablement à son contenu !
Ton " Miroir " met effectivement en évidence ce qui t'habite, et sans lui, qui pourrait constater ton égarement ? L'écrit est à l'image de l'intelligence, et l'intérieur transparaît dans le discours.