Un peu plus loin, tu entames une rubrique intitulée " Introduction au sujet du commandement du bien et de l'interdiction du mal ", dans laquelle, sous prétexte d'appliquer ce précepte coranique, tu réunis ces quelques références scripturaires qui te servent de subterfuge pour porter atteinte à l'honneur des croyants Mais devant Dieu, cela ne te servira à riens : de quelque façon qu'on l'habille, la médisance reste la médisance Même en admettant que tu n'aies souhaité qu'arranger les choses, ta prose témoigne de ton incapacité à distinguer entre le bien et le mal : cela est excusable, mais pas de la part de quelqu'un qui entreprend de commander et d'interdire !
Quelle que soit la façon d'envisager ton cas, tu es loin d'être au dessus de tout soupçon Si tu ne savais pas, c'est un mal en soi que d'être ignorant, mais si tu savais, le mal n'en est que plus grand Si tu n'as pas une intuition claire de ce qui distingue le bien du mal, comment peux-tu ordonner ceci et rejeter cela ? Avant de te prononcer sur un sujet quelconque, tu dois t'en faire une juste conception, le jugement particulier n'étant que l'application de celle-ci Et lorsque tu tranches, tu ne dois le faire que selon le jugement de Dieu, ordonnant ou interdisant suivant les ordres et interdits divins Scrupuleux à l'extrême, tu dois t'abstenir de parler de la religion selon ton opinion ou de prononcer des interdits en fonction de tes préférences Dieu - exalté soit-Il - n’a-t-Il pas dit : " Ceux qui ne jugent pas d'après ce que Dieu a révélé, ceux-là sont les injustes !", Sourate 5 : La table servie (Al-Maidah) verset 45.
As-tu bien appliqué cela, toi qui viens interdire ceci, blâmer cela, déclarer tel groupe dans l'égarement et traiter tel autre d'innovateur ? Ton attitude avec Ses créatures ne témoigne pas d'une grande crainte de Dieu, pas plus que ton respect pour Muhammad ne transparaît dans ton comportement envers sa communauté !
Tu crois pouvoir ordonner le bien et interdire le mal, mais en es-tu bien digne ? Le Prophète - sur lui la prière et la paix - a dit : " Seul peut commander le bien ou interdire le mal celui qui fait preuve de douceur lorsqu'il ordonne ou interdit ; celui qui est patient et intelligent lorsqu'il ordonne ou interdit ; celui qui connaît et comprend [véritablement] les règles religieuses lorsqu'il ordonne ou interdit ".
La première partie du hadîth signifie - mais Dieu est plus savant - qu'il ne formule ordres et interdits qu'avec douceur : c'est exactement le contraire de ce que tu as fait dans ton " Miroir ", ô Cheikh ! Tu aurais mieux fait de t'abstenir de toute initiative tant que tu ne connaissais pas les conditions d'exercice de cette fonction, telles que Dieu les a fixées : cela t'aurait permis d'entrer dans la maison [du commandement du bien et de l'interdiction du mal] par sa porte.
N'as-tu jamais entendu l'histoire de ce jeune homme qui vint trouver le Prophète - sur lui la prière et la paix -, lui demandant d'une voix forte : " O Envoyé de Dieu, me permets-tu d'avoir des relations sexuelles en dehors du mariage ? " [Scandalisés,] les gens poussaient des exclamations, mais le Prophète ordonna soudain : " Laissez-le, laissez-le ! " Puis il lui demanda d'approcher et lui dit avec douceur : " Aimerais-tu qu'on fasse une chose pareille avec les femmes de ta famille ? ", et il se mit à énumérer ses proches parentes : sa mère, sa sœur et son épouse ; à chaque fois, le jeune homme répondait : " Non, ça ne me plairait pas ! " Le Prophète conclut alors : " Eh bien, les gens sont comme toi ; ils n'aiment pas que l'on fasse cela avec les femmes de leur famille " Puis il mit sa noble main sur sa poitrine et fit cette invocation : " Mon Dieu, purifie son cœur, pardonne lui sa faute, et préserve sa chasteté " Par la suite, nulle chose ne parut plus répugnante à ce jeune homme que la fornication.
Les récits de ce genre sont nombreux dans l'histoire de la vie du Prophète et de ses compagnons Il y a notamment l'anecdote bien connue du bédouin qui urina dans un coin de la mosquée D'un seul bond, les Compagnons se levèrent pour l'expulser sans ménagement, mais le Prophète - sur lui la prière et la paix - les en empêcha et couvrit l'homme de son manteau, lui disant [même de ne pas se presser Lorsqu'il en eut terminé, le bédouin s'écria : " Mon Dieu, accorde-nous Ta miséricorde, à Muhammad et à moi-même, mais ne l'accorde à personne d'autre ! " Le Prophète dit alors : " Tu limites là quelque chose d'immense, ô bédouin ! ".
Mais toi et moi, avons-nous d'aussi nobles manières ? La douceur ne fait qu'embellir les choses tandis que la brutalité ne fait que les enlaidir Voilà une partie de ce que l'on pouvait dire à propos du fait d'ordonner et d'interdire avec douceur Quant aux qualités de patience et d'intelligence que doit avoir celui qui ordonne ou interdit, elles ont généralement un effet bénéfique sur la personne à laquelle il s'adresse, car elles supposent une réelle sollicitude pour cette dernière La Révélation y fait ainsi allusion : " Plein de sollicitude envers vous, bon et miséricordieux à l'égard des croyants", Sourate 9 : Le repentir (At-Tawbah) verset 128.
Ne pas chercher à avoir le dessus lorsqu'on refuse de vous écouter ou qu'on vous fait subir des revers en raison de ce que vous ordonnez et interdisez : voilà un signe de patience et d'intelligence ! Sais-tu qu'au moment où l'une de ses dents fut brisée [au cours de la bataille d'Uhud], le Prophète - sur lui la prière et la paix - se contenta de dire : " Mon Dieu, pardonne à mon peuple car ils ne savent pas ".
Mais peut-être n'es-tu pas d'un naturel clément ? Dans ce cas, ton devoir est d'acquérir cette qualité autant que faire se peut, en vertu de cette parole du Prophète - sur lui la prière et la paix - : " La science s'acquiert par l'étude, et c'est en s'efforçant d'être clément (tahallum) qu'on réalise cette vertu ".
N'as-tu jamais entendu cette parole de Jésus - sur lui la paix - à propos des destinées de son peuple après lui, telle que nous la rapporte le Coran : " Si Tu les châties Ils ne sont que Tes serviteurs Et si Tu leur pardonnes Tu es, en vérité, le Tout Puissant, le Sage ".
Considère l'excellence de cette parole et la bienveillance dont elle témoigne ! Pourtant, en dépit de l'associationnisme dont son peuple se rendit coupable par la suite, il n'a pas été jusqu'à dire ce que, toi, tu as affirmé des gens de la communauté d’Ahmad : qu'ils sont les pires créatures ; et ceci, simplement parce que d'après toi, c'est pécher que de vénérer les saints Ton cœur est dur, et tu es sans pitié pour les croyants : voilà la véritable raison de tes allégations ! Jabir lbn Abdallâh rapporte du Prophète - sur lui la grâce et la paix - la parole suivante : " Qui n'est pas miséricordieux envers les hommes, Dieu ne le sera pas à son égard " C'est donc une qualité particulière que doit avoir celui qui ordonne ou interdit.
Quand à la compréhension de la religion dont doit faire preuve celui qui ordonne ou interdit, c'est là le fond du problème, le point central de toute cette question du commandement du bien et de l'interdiction du mal, parce que l'incompréhension de la religion d'Allah amène généralement à statuer au rebours de Son jugement, en ordonnant le mal ou en interdisant le bien. Quelle abominable façon d'exercer l'autorité religieuse, en prétendant prescrire ce qui convient !
Pour ta part, ô Cheikh, tu as blâmé dans ton épître le bien le plus élevé, créant ainsi un trouble immense et vraiment néfaste pour les musulmans. La personne qui referme ton "Miroir", à supposer que cette lecture ne lui cause pas un dommage irrémédiable, se mettra dans le meilleur des cas à douter de sa religion et de son devenir puisque les actes qu'elle pensait être des offrandes à Allah, lui permettant de se rapprocher de Lui, lui apparaîtront alors comme une transgression méritant châtiment. Quel désastre pourrait-il causer plus de tort à la religion ? "Nous sommes à Allah et nous retournons à Lui !" (Qoran)
C'est une idée de bon sens, largement partagée, que de penser qu'une seule réunion en vue du Souvenir efface bon nombre de mauvaises réunions ; sur ce point, la conviction de l'élite et celle du commun des croyants s'accordent parfaitement. Mais toi, ô Cheikh, tu prétends prouver que ces réunions en vue du dhikr, quelle que soit la manière de le pratiquer, ne sont que des innovations blâmables, contraires aux pratiques des anciens, sans nous préciser ce que sont ces assemblées du Souvenir que la Loi recommande [indubitablement]. Vraiment, tu dois rendre tes lecteurs bien perplexes ! Tout cela résulte probablement de ton manque de compréhension de la religion divine. Voilà la raison pour laquelle le Prophète - sur lui la grâce et la paix - subordonnait la mission d'ordonner le bien et d'interdire le mal à une compréhension réelle de la religion, pour éviter qu'on n'en arrive à commander l'inverse de ce qu'il convient comme nous l'avons dit.
Avant d'occuper cette fonction, il faut au préalable avoir bien compris les notions de bien et de mal, au moyen de définitions claires et explicitées par la Loi, pour ne pas s'égarer dans la direction inverse de celle-ci. C'est pourquoi, les plus grands savants sont extrêmement prudents lorsqu'ils abordent une question religieuse dont aucun texte explicite ou quasi explicite ne traite. Quant aux questions où nulle source explicite ne permet de trancher, les décisions prises à leur égard n'obligent que leur auteur, lequel ne fait qu'émettre une opinion personnelle, et c'est pourquoi les applications juridiques sont si variées ; pourtant, l'unité des principes qui les sous-tendent n'en demeure pas moins sauve : louange à Allah ! Ceci résulte de la facilité qui caractérise la religion divine, ainsi que l'a dit le Prophète - sur lui la grâce et la paix - : "Le meilleur culte, c'est le plus facile ; et la meilleure œuvre, c'est de comprendre la religion (al-Fiqh)".
En conséquence, qui ne la comprend pas devrait s'abstenir d'en parler. Selon Ibn Abd al-Barr `Atâ' disait ceci : "Celui qui n'est pas au fait des différences [note : Il s'agit, au-delà des différences d'école juridique, de l'intégration par le Fiqh des spécificités de chaque lieu, de chaque époque et de chaque groupe humain.] Qui existent entre les gens doit s'abstenir de leur donner des avis juridiques ; car en ce cas, la science qui lui échappe est largement plus importante que celle qu'il détient".
Ce que nous disons ici de la nécessité d'approfondir n'intervient cependant qu'en cas d'ambiguïté. Lorsque le caractère illicite ou obligatoire d'une chose est établi sans le moindre doute par la religion, tout musulman au fait de ce statut se doit d'ordonner le bien et d'interdire le mal à ce sujet - quand bien même il n'en tiendrait pas compte concernant sa propre personne. Mais ce dont nous devons nous défier, c'est de cette voie que tu as choisie, ô Cheikh ! Tu interdis ou autorises en fonction de ton opinion personnelle et de la jalousie que tu nourris envers les autres. Te laissant entraîner par ta nature et tes penchants, tu assimiles le bien à ce que tu approuves et décrètes blâmable ce que tu réprouves !
Mais quelle autorité avez-vous donc en la matière, toi et tes semblables ? Ce sont bien plutôt Allah, Son Prophète et les gens enracinés dans la science qui en ont la charge ! Pour ta part, contente-toi de blâmer ce que la religion a clairement déclaré blâmable, et d'ordonner ce dont elle a indubitablement établi le caractère louable, en l'appliquant avec résolution en ce qui te concerne ; quant au reste, tu n'as qu'à t'en remettre à Allah. Et surtout, respecte les différents efforts d'interprétation des autorités compétentes, qu'elles soient d'entre les soufis ou non. Ne sais-tu pas qu'il y a des choses ambiguës que telle école juridique a décidé d'interdire et telle autre d'autoriser, tandis qu'une troisième incline à leur trouver un caractère recommandable et qu'une autre encore se contente de les déconseiller ?
Cette question n'exige pas de longues explications ; mais qu'en pense mon contradicteur ? Lui faut-il qu'un mujtahid [le mujtahid est le savant autorisé à faire un effort d'interprétation, de par sa science.] se plie à l'opinion d'un autre ? Cela n'est pas nécessaire, à moins d'être aveuglé par une intolérance sectaire telle que celle qui t'affecte ! Tu voudrais qu'un courant largement majoritaire, qui rassemble une multitude de gens sur la terre entière, se soumette à ton faible point de vue, t'imaginant que le soufisme ne s'appuie sur aucun fondement solide ? Non, par Allah, et tu juges fort mal les gens du soufisme, ô Cheikh ! Voici la seule réponse que tu mérites (et c'est aussi valable pour tous ceux qui te ressemblent) : le moindre soufi montre assurément plus de scrupule que toi dans sa pratique religieuse ! [Pour asseoir ton autorité,] tu prétends t'appuyer sur Sa Parole - exalté soit-Il - : "Vous êtes la meilleure communauté suscitée pour les hommes ; vous ordonnez le bien et interdisez le mal". (Qoran)
A quoi je répondrai que personne ne conteste le sens de ce verset ou des autres citations que tu fais : ordonner le bien et interdire le mal sont effectivement des obligations qui incombent à toute personne qui croit en Allah, au Prophète et au Jour dernier. Ce que je conteste en revanche, c'est ta façon de donner à ce "mal" auquel il convient de s'opposer un sens qu'il n'a pas dans ce verset, en y incluant les réunions du Souvenir et l'ensemble des pratiques du soufisme. Et à mon avis, ce sont bien plutôt les idées que tu soutiens dans ton "Miroir" qui mériteraient d'être corrigées.
Sa Parole - exalté soit-Il - : "Vous êtes la meilleure communauté", peut s'adresser aux croyants d'une façon générale ou à l'élite de ceux-ci. Pris dans son sens général, ce verset signifie que les croyants sont chargés, entre toutes les communautés, de commander le bien et d'interdire le mal ; cette fonction est celle des Prophètes, des Envoyés et des Véridiques (Siddiqûna), et ils l'exercent à l'égard de l'ensemble des autres communautés ; dans ce cas, le "mal" est une expression désignant toute forme d'associationnisme, tandis que le "bien" réfère à l'attestation de l'Unicité divine et à tout ce qui en découle. Pris dans son sens particulier, ce verset traite des ordres et interdictions que les gens de l'élite s'adressent mutuellement ; le "mal" et le "bien" désignent alors respectivement les mœurs blâmables et louables. Mais dans ce dernier cas, le pronom "vous" ne s'adresse au fond, à proprement parler, qu'à ceux qui guident les créatures et les appellent à Allah par Allah. C'est à leur sujet que le Prophète - sur lui la grâce et la paix - a dit : "Il y aura toujours sur terre quarante hommes semblables à [Abraham,] l'Ami du Miséricordieux. Par eux vous recevrez la pluie, et par eux vous serez nourris. Chaque fois que l'un d'entre eux mourra, Allah le remplacera par un autre". (kanz al-'Ummal d'Al Hindi n° 34603 et 34602).
C'est ainsi qu'à chaque Prophète est spirituellement associée une catégorie de personnes de la communauté de Muhammad - sur lui la grâce et la paix - ; et ces cohortes qui existent à chaque époque sont au fond les interlocuteurs les plus directs de cette apostrophe divine. Ils sont en effet les plus qualifiés pour accomplir cette mission d'ordonner le bien et d'interdire le mal. Façonnés pour cela de toute éternité, ils détiennent naturellement les qualités que cette fonction exige. Si d'autres l'assurent, ce n'est qu'à titre occasionnel et en fonction de circonstances passagères. Pour ma part, je pense qu'en général, ces personnes dont il est question n'existent que parmi les gens du Souvenir, eux qui, selon les termes d'un hadîth qui sera cité plus loin, "s'abandonnent totalement à l'invocation de Dieu".
Ce n'est que parmi les adhérents du soufisme, ceux-là mêmes que tu traites d'innovateurs, que l'on rencontre des gens "s'abandonnant totalement à l'invocation de Dieu" ou "étant follement épris de son Souvenir", pour reprendre les expressions que l'on trouve dans plusieurs traditions. Les autres, quels qu'ils soient, n'atteignent pas leur degré dans l'invocation d’Allah ; les seuls à être du même niveau sont ceux qui les aiment, leurs ancêtres spirituels et les gens de leur chaîne initiatique. Bien évidemment, je mets à part les trois premières générations [de musulmans] en faveur desquelles le Prophète a témoigné ; mais tout cela est évident lorsque l'on a vraiment compris ce que sont le soufisme et les soufis.
Quant à celui pour qui cette expression ne désigne qu'une foule de gens appartenant à la lie du peuple, il ne risque pas de se faire une idée exacte du soufisme, identifiant le soufisme, qu'il ne connaît pas, aux pratiques de ces gens qu'il connaît et appelle lui-même soufis. Mais quelle différence entre ce dont tu as connaissance et ce soufisme dont tu ne sais rien ! Par Allah !, mon frère, si la nature du soufisme, son commencement et son terme t'étaient dévoilés, tu te contenterais de n'être qu'un enfant en présence des gens d'Allah !