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Khaled_Bentounes_842.jpg
L'événement de cet été, pour votre

confrérie, a été la célébration du centenaire

de la tarîqa alawiya et le colloque

qui l'accompagnait. Etes-vous

satisfait, cheikh Bentounès, du déroulement

des travaux de ce colloque? Quel bilan pourriez-vous en

esquisser ?


Satisfait, oui, je le suis. C'est un colloque
qui a tout de même rassemblé

6500 personnes. C'est un chiffre sûr, on

le sait, parce qu'il y avait des badges et

des bracelets qui ont été confectionnés

à l'intention des participants. On le sait

également par le nombre de repas

qu'on a servis. Donc, c'est quelque

chose qui est avéré. On est arrivés

exactement à 6562 participants venus

de 38 pays. Ce qu'il y a lieu de retenir,

c’est que ce colloque s'est déroulé dans

le calme et la sérénité, dans un climat

détendu. Les gens qui sont venus ont

vu un Islam d'espérance, comme on le

souhaitait. Le débat était ouvert, les

échanges se sont faits à tous les niveaux,

du plus subtil au plus banal. Il y

a eu 35 ateliers autour de thèmes dont

on ne pouvait même pas imaginer

qu'une zaouïa pouvait les aborder. Des

thèmes comme «La thérapie de l'âme»,

par exemple, qui a attiré énormément

de monde, ou encore le thème «Management,

éthique et tradition», c'est-àdire

comment une voie soufie peut mêler

spiritualité et management.

Bien que de haute facture, ce colloque

vous a valu quelques attaques

malveillantes de la part aussi bien de

certaines figures des milieux confrériques

que de partis islamistes (El Islah

en particulier), du Haut-Conseil

islamique (HCI) et des ulémas. Ces

critiques ont porté principalement

sur deux points : vos déclarations

sur le hidjab et les miniatures illustrant

votre dernier ouvrage, Soufisme,. Qu'aimeriezvous

l'héritage commun

répondre à vos détracteurs ?

J'aimerais leur dire d'abord que la

moindre des choses aurait été de lire

mon livre avant de l'accabler. Comme

le dit l'adage, on ne peut pas vendre la

peau de l'ours avant de l'avoir tué. C'est

aussi l'arbre qui cache la forêt. Ce

qu'on ne souhaite pas divulguer, surtout,

c'est autre chose que les miniatures.

Il y a des photos du patrimoine

musulman qui font partie de cette mémoire

de l'héritage islamique comme

le tombeau de Sayida Khadidja, la

mère des croyants, ou la maison du

Prophète (Que Le Salut d'Allah soit sur

Lui) dans laquelle il a vécu à La

Mecque avec Sayida Khadidja, ou encore

le lieu où fut conclu le premier

serment des gens de Médine envers le

Prophète, qui s'appelle Bayâte al Aqaba,

ainsi que les tombes des martyrs

des batailles de Badr et de Ouhoud qui

ont été détruites. Au total, il y a dans

cet ouvrage quelque 844 documents.

Par qui ce patrimoine a-t-il été détruit ?

Et pourquoi surtout... Nous assistons

à une mainmise sur l'histoire de l'Islam

effaçant la mémoire de tout ce qu'il y

avait avant. Ces gens qui s'en sont pris à

mon livre, ils l'ont condamné, c'est différent.

Entre critiquer et condamner, il

y a une différence. En s'appuyant sur

quoi ? Sur des fetwas de quels oulémas

? Ce sont des oulémas qui préconisent

la destruction du tombeau du

Prophète lui-même et qui jusqu'à aujourd'hui

disent : n'allez pas à Médine.

Et on prend ces fetwas-là alors que

nous avons nos propres oulémas, nos

propres traditions. L'Islam maghrébin

est un Islam d'ouverture et de dialogue.

Par exemple, sur cette Une d'
El

Khabar Hebdo

de la tarîqa qadiriya vous prend à

partie en disant «Khaled Bentounès

a porté atteinte à la personne du Prophète

»

le livre. Au demeurant, il ne représente

que lui-même. Les gens sont beaucoup

plus nuancés que cela. Et puis, il y a eu

un amalgame qui a été fait par certains

entre «miniatures» et «caricatures»…

Le premier article paru présentait les

choses comme cela. Mais les caricatures,

c'est quelque chose qui a stigmatisé

l'Islam… C'est humoristique,

certes, mais c'est aussi une façon de se

moquer d'autrui. Mais les miniatures,

il suffit d'aller sur internet et de taper

«miniatures musulmanes» pour voir

surgir des milliers d'oeuvres. Dans ce

cas-là, il faudrait aussi faire un procès

au musée de Topkapi d'Istanbul. A Kaboul,

on a détruit des miniatures alors

que l'école de Kaboul a été la première

école de miniatures dans le monde

musulman et que l'Islam a pénétré

l'Asie grâce aux miniatures.

Où va-t-on comme cela ? C'est l'Islam

de ces gens-là qui est une caricature.

Moi je ne leur réponds rien, je leur

dis merci et je vais me préparer au bûcher

parce que vous n'avez encore rien

vu…

Vous auriez déclaré que le hidjab

n'est pas une obligation religieuse.

Pourriez-vous clarifier cette réflexion ?


Moi je suis contre le hidjab qui est

dans la tête, pas sur la tête. Enlevez le

hidjab, vous êtes en train de lier un habit

à la foi, c'est dangereux. Parce que

d'abord, le hidjab, chez nous, existait

déjà. Il était de l'ordre de la culture locale.

En Kabylie, il y avait une façon de

le porter ; à Mostaganem, il y avait une

autre façon de le mettre ; dans le Sud,

c'est carrément l'homme qui le porte,

c'est le taguemoust ou le litham. En

Iran, c'est le tchador. A Oman, c'est le

niqab

. Et c'est la m'rama en Tunisie, la

djellaba au Maroc, le boubou au Sénégal

et en Afrique du Sahel, le sari chez

la musulmane indienne. Ces gens-là

croient que l'Islam est à leur niveau. Ce

qu'ils voient autour d'eux, c'est ça l'Islam,

un modèle unique. Qui, parmi les

femmes du Prophète, a porté le hidjab

que portent nos filles aujourd'hui ?

Il faut savoir qu'il y a une historicité

du hidjab, il y a un contexte de révélation.

Avant tout, éduquez la femme

parce que le meilleur des comportements

et le meilleur des vêtements,

c'est la pudeur, que ce soit pour l'homme

ou pour la femme. Je ne vois pas

pourquoi on autorise l'homme à porter

ce qu'il veut et pas la femme. Il y a un

conditionnement par la force.

Au lieu de nous occuper des questions

fondamentales dans un monde en

proie à des crises financière, climatique,

alimentaire, à une crise de sens,

au lieu de se préparer aux défis de demain,

au lieu d'être des sociétés de proposition,

nous sommes constamment

dans le déni, retranchés derrière des arguments

étriqués en jetant la pierre à

l'Occident. Jusqu'à quand ? Ce langage

ne tient pas la route. Et moi, si je dérange,

eh bien, je dérange ! Tant pis ! Mais

je continuerai à tenir ce discours,

quoique j'aie assez payé pour cela.

Mon père est allé en prison à cause de

cela.

Pensez-vous que le wahhabisme va

continuer à faire des dégâts au sein

de notre société ? Comment les

zaouïas pourraient-elles contribuer

à contrer cette mouvance ?

C'est le travail de toute la société, ce

n'est pas l'affaire exclusive des zaouïas.

Il faut que notre société prenne

conscience de ces enjeux et qu'elle apprenne

à être responsable. Les Algériens,

moi, je ne les prends pas pour des

débiles, des imbéciles ou des mineurs.

L'âme algérienne est une âme rebelle.

C'est une âme mystique. L'Algérien

vous donne tout. Je connais mon

peuple, oui, il est perfide, mais c'est

parce qu'on a toujours joué avec lui, on

n'a jamais été sincère avec lui. Mais

quand on est sincère, le peuple vous

donne tout ce qu'il possède.

Votre engagement résolu en faveur

d'un Islam d'ouverture, conciliant

tradition et modernité, vous

vaut, nous le disions, de franches inimitiés

de la part des milieux conservateurs.

Concrètement, comment

entendez-vous avoir raison de ces

«résistances» ?

Nous sommes obligés de faire un

constat : si nous maintenons cette situation

où chacun baisse les bras, où

chacun se laisse faire, où l'élite intellectuelle,

politique, économique de ce

pays fait dans le «chacun pour soi», on

ne s'en sortira pas.

Si ce congrès international (de la tarîqa

alawiya) a réussi, c'est parce qu'il

était mené avec méthodologie et un travail

de fond. C'est parce que nous

avions une vision. Accueillir 6500 personnes

n'était pas une mince affaire,

mais on l'a fait à travers une organisation

judicieuse, inspirée de nos traditions.

Le Prophète lui-même s'était

illustré par sa gestion du temps. Qui se

préoccupe aujourd'hui de la gestion du

temps dans le monde musulman ?

L'islam, c'est la religion de la logique

et du bon sens. C'est avant tout une affaire

de akhlaq (morale). «J'ai été envoyé

pour anoblir les caractères»,

le Prophète. Cela veut dire que,

avant moi, il n'y avait pas le vide et qu'il

s'agit simplement de parfaire les

choses. Le Prophète n'a jamais prétendu

faire table rase de la société qoraïchite

ni de la société arabe qu'il avait

trouvées. Il s'habillait comme les

Arabes de son époque, il mangeait

comme les Arabes de son époque, il

avait même les coutumes et les moeurs

de son époque. Mais de ces Arabes est

sorti un message extraordinaire qui, en

70 ans, est arrivé jusqu'en Europe. Jusqu'à

Poitiers, en France. Et de l'autre

côté, jusqu'aux océans Indien et Pacifique.

Il n'y avait pas les moyens actuels.

Comment neuf personnes ontelles

répandu l'Islam en Indonésie ?

C'était des saints soufis. Aujourd'hui,

c'est le plus grand Etat musulman du

monde avec 225 millions d'âmes. Jamais

aucun Sahabi (compagnon du

Prophète) n'est allé en Indonésie. Ils

sont venus avec la tarîqa qadiriya et,

surtout, avec l'amour du prochain. Ils

ont simplement dialogué avec les

gens jusqu'à les convaincre. De voir

dans la grande mosquée de Djakarta

qui est la plus grande mosquée du

monde avec 10 hectares, qui accueille

125 000 priants et priantes, de voir

donc l'imam au milieu, à droite les

hommes, à gauche les femmes, sur la

même ligne, permettez-moi de vous

dire que ça impressionne. On voit que

les Indonésiens et les Asiatiques ont

compris et que les pays arabes n'ont

toujours pas compris et qu'ils parlent

encore de ceci et de cela…

L'islam a donné des multitudes de

Rabia Al Adawiya, des femmes avec

une spiritualité extraordinaire. Un

jour, on a vu Rabia Al Adawiya courant

dans le désert avec un fagot sous

le bras et un sceau sur le dos. On lui a

dit : «Mais où est-ce que tu vas avec

ça ?»

de bois brûler le Paradis, et avec ce

sceau d'eau éteindre l'enfer, ceci afin

que plus personne n'adore Dieu par

crainte ni par désir du Paradis, mais

uniquement par amour de Dieu.»

Moi je conseille au ministre des Affaires

religieuses de rajouter au passeport

un petit calepin de pointage pour

consigner qui va à la mosquée le vendredi,

comme ça au moins, on aurait

un petit bonus. Je demanderais pareillement

à nos frères saoudiens de

consigner combien de fois ils ont fait

le hadj et la omra. C'est un investissement,

le pèlerinage coûte cher. Au

moins, quand on nous enterre, on

nous met ça dans la tombe pour le

âdab el qabr

(le supplice du sépulcre).

Quand les anges viendront, on leur

montrera le passeport comme quoi

j'ai 1200 djoumouâ dans mon pedigree,

j'ai tant de hadj... Je sais que

pour ce que je dis là, ils vont me dresser

un bûcher comme au temps de

l'Inquisition (rires)…

Qu'est-ce que c’est qu’être soufi

aujourd'hui, en définitive, cheikh

Bentounès, au XXIe siècle ?

Moi je pense qu'être soufi au

XXIe siècle, c'est être véritablement

citoyen du monde. C'est ne se référer

ni à la nationalité, ni à la race, ni

même à la religion. C'est prêcher cette

fraternité adamique. Quand vous prenez

un chapelet, le chapelet est fait de

grains. Nous ne faisons jamais attention

au fait que ces graines sont reliées

entre elles par un fil et ce fil, on

ne le voit pas. Le soufi, aujourd'hui,

doit être le fil de notre société qui unit

les différentes gens. Et cela nécessite

un travail sur soi. D'abord, mêle-toi de

tes affaires au lieu de te mêler des affaires

des autres. Et aussi introduire la

sacralité dans notre vie. Et la miséricorde

car le chemin mohamadien est

un chemin de miséricorde.

Que diriez-vous du rapport entre

soufisme et politique et de la place

du soufi dans la cité, des questions

relatives au pouvoir…Le soufi doitil

se mêler de politique ?

 

humaine. Le soufi ne doit pas pratiquer

la politique politicienne, qui est

la politique du mensonge. Nous avons

toujours dit qu'il n'y a pas de lien politique

entre nous. Ce sont d'autres liens

qui nous unissent, des liens de fraternité.

Que vous soyez de ce parti ou de

cet autre parti, cela ne regarde que

vous.

Vous confirmez que la alawiya

est apolitique...

Elle doit l'être. Les zaouïas doivent

se conformer à ce principe. Cela

n'empêche pas que les soufis sont des

citoyens ; ils doivent jouer leur rôle en

votant, en décidant, mais pas au nom

d'une tarîqa. Même moi, je n'ai pas le

droit d'engager la tarîqa. Pourquoi ?

Parce que les partis changent. Même

le parti communiste qui a occupé la

moitié de la Terre a disparu. L'Union

soviétique, où est-ce qu'elle est aujourd'hui

? Mais la voie de Dieu, elle,

reste. Elle restera éternellement. Les

zaouïas sont des espaces de dialogue,

des espaces qui doivent être là pour la

moussalaha

(conciliation). Chacun a

le droit d'aller dans une zaouïa, même

un athée. C'est chez lui. La zaouïa,

c'est la maison de Dieu pour toutes les

créatures de Dieu. On ne peut pas dire

à quelqu'un qui vient dans une zaouïa

«tu n'es pas de mon parti» ou bien «tu

n'es pas de ma tarîqa» ou «tu n'es pas

de ma religion»... C'est inadmissible !

D'où le titre de votre livre,
La

Fraternité en héritage

mon père ! Il est mort à 47 ans dans

l'humiliation. On l'a mis sous terre

dans un cachot de deux mètres carrés,

on a confisqué tous les biens de la

zaouïa, on a brûlé des centaines de

livres, mais al hamdou lillah, cela

nous a rendus encore plus forts par le

fait même que cela nous a rendus plus

proches de ceux qui souffrent.

Moi je ne veux régler mes comptes

avec personne. Tout ce que je dénonce,

c'est la bêtise d'où qu'elle vienne,

des juifs, des chrétiens, des Américains,

des Chinois, qu'elle vienne de

mes propres frères… La bêtise humaine,

y’en a marre ! Arrêtons de

jouer à ce jeu malsain des intérêts en

opposant les uns aux autres par le religieux,

par l'affectif, et en surfant sur la

sensibilité des gens avec l'émotionnel.

Arrêtons cette religiosité théâtrale.

Moi je suis pour une éducation d'éveil

et de responsabilité.

Que ce soit en Occident ou ailleurs,

c'est la pensée soufie qui triomphe

parce qu'elle est avant-gardiste, qu'on

le veuille ou pas. Parce qu'elle prêche

la tolérance, parce qu'elle ne porte pas

de jugement sur les autres. Elle accepte

les gens tels qu'ils sont. La première

chose qu'elle nous apprend, c'est d'accepter

l'autre tel qu'il est. Parce qu'elle

est une créature de Dieu et que Dieu a

anobli les fils d'Adam : «Wa lakad karamna

bani Adam.»

anobli les enfants d'Adam). Ce n'est

pas par la contrainte qu'on convertit

les gens, «la ikraha fi dine». Point de

contrainte en religion. Imposer une

religion, c'est complètement débile.

Ou alors il faut enlever tous ces versets

coraniques. On nous parle de

l'Etat islamique et on nous dit : «Le

Coran c'est le doustour.»

est la Constitution). Quel doustour !

La constitution change et évolue par

rapport à la société. Comment faire

du Coran une Constitution ? C'est

quoi cette fable ? Pour anesthésier les

gens avec Le Livre de Dieu ? Le Coran

est une lumière. Il ne peut pas être

le doustour de qui que ce soit. Il n'est

l'apanage de personne, ni d'un prince,

ni d'un roi, ni d'un président, ni d'un

clan, ni d'une école. C'est Le Livre de

Dieu.

Que pensez-vous du courant dit

«coraniste» qui renie la charia et

dont le frère de Hassan El Banna

est l'une des figures de proue en

Egypte ?

Nous, Ahl al Sunna wal Jamaâ
,

nous avons un patrimoine inestimable.

Moi, quand je lis la charia, je

l'interprète comme une voie extraordinaire

d'ouverture. Hélas, à partir

d'une certaine époque, il y a eu un rétrécissement

des esprits dans le monde

musulman. Savez-vous qu'il y avait

52 écoles de pensée et de fiqh à Baghdad

? Il n'en reste plus que quatre et

bientôt, même ces quatre, elles vont

disparaître et il ne restera plus que la

doctrine wahhabite. On aura ainsi atteint

le sommet de l'abrutissement généralisé.

Aujourd'hui, ces gens nient

la philosophie alors que la philosophie

grecque est passée en Occident

grâce aux musulmans. Mais n'oubliez

pas que c'est l'Inquisition qui a amené

la Renaissance...

T. B. et M. B.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Tag(s) : #SHAIKH KHALED BENTOUNES
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